Presentation

28 et 29 novembre 2022, Amphithéâtre Pasquier, Campus des Cordeliers, 15-21 Rue de l'École de Médecine, 75006 Paris

 

Le terme de « médicalisation » fait référence à une démarche qui consiste à « définir un problème en termes médicaux, généralement en tant que maladie ou anomalie, ou à recourir à une intervention médicale pour le traiter » (Conrad, 2005 : 3, notre traduction). Les premiers travaux consacrés à la médicalisation sont apparus dans les années 1960 et 1970 (Pitts, 1968 ; Freidson,  1970 ;  Zola,  1972), dans  le  sillage  du  travail  de  Parsons  (1951),  théoricien  de  la médecine comme institution de contrôle social. Ces œuvres pionnières avaient une  approche critique  de  la  médicalisation,  et  ont  souvent  employé  ce  terme  au  sens  de « sur-médicalisation ».  Ce  faisant,  ils  ont  corrélé  la  médicalisation  à  l’autorité  grandissante des médecins  dans les sociétés  modernes,  contribuant  à  mettre  en  exergue  le pouvoir de ces praticiens  dans les  processus  de définition  et de contrôle  de  ce  qui  est  reconnu  comme « pathologique ».

Dans  les  années 1970,  les  travaux sur  la  médicalisation  se  sont donc appuyés  sur  de grands courants intellectuels, comme le constructivisme social, mais ils ont aussi bénéficié de pratiques politiques et sociales, et en particulier des mouvements pour la santé des femmes qui émergent  aux  États-Unis  et dans de  nombreux pays occidentaux.  Dans  la  production scientifique sur la médicalisation, l’influence de ces mouvements féministes se ressent à tel point que, pour Susan E. Bell et Anne E. Fegert : « même si le concept de médicalisation n’est pas genré, il a été historiquement rattaché aux femmes » (2012 : 127, notre traduction).

En effet,  les  travaux  pionniers qui  sont publiés  dans  les  années  1970  se  concentrent essentiellement sur les « liens entre les corps des femmes et l’accroissement du contrôle / de la médicalisation de ces corps par une profession médicale majoritairement masculine et un socle de connaissances genré » (Bell et Fegert, 2012 : 129, notre traduction). Ce faisant, ces travaux se  sont intéressés à  des  expériences  genrées, comme  l’accouchement, ou  la  menstruation (Leavitt,  1984:  McCrea,  1983), et aux  relations  de  pouvoir  inhérentes  aux  rapports  entre patient·e·s et médecins. 

Dans les années 1980, Riessman (1983) et Bell (1987) ont joué un rôle central dans la critique de la pensée de la médicalisation comme processus imposé par le haut et au sein duquel les patient·e·s auraient un statut passif de victimes. Cette tendance a ensuite été confirmée par des  travaux qui, plus récemment, ont  élargi  les  conceptualisations  de  la  médicalisation.  Ils permettent de réfléchir aux différentes manières dont la médicalisation affecte les hommes et les femmes, et aux prises des patient·e·s sur la médicalisation ou la démédicalisation de leur condition. Ces travaux ont notamment montré en quoi il était problématique d’appréhender la médicalisation genrée par le truchement d’une pensée elle-même dichotomique (Clarke et al., 2003).  Dans  cette  perspective,  la complexité  que  présente  l’intersection  entre  d’une  part médicalisation et d’autre part questions de genre et de sexualité peut apparaître de différentes façons :

  • En médecine, les biais de genre ne se traduisent pas seulement par la sur-médicalisation de phénomènes socio-culturels, ils peuvent également entraîner la sous-médicalisation de  certaines  pathologies.  Rester  sans  diagnostic  empêche  par  exemple  d’accéder  au statut légitime de patient·e, avec tous les droits et privilèges qui accompagnent ce statut (Glenton, 2003; Nettleton, 2005). La question se pose avec une acuité particulière dans le  cas  de  conditions où  non  seulement  les  recherches,  mais  aussi  les  traitements  sont insuffisants – comme la fatigue chronique, la fibromyalgie, l’endométriose, etc. 

 

  • L’influence du genre dans la médicalisation a souvent été envisagée en termes binaires, alors  qu’en  réalité,  elle  a  historiquement  affecté  les  communautés  intersexes  et transgenres notamment (Giami, 2012; Johnson, 2019).

 

  • Les patient·e·s ont longtemps été considéré·e·s principalement comme des victimes du processus  de  médicalisation.  Pourtant,  des  études  récentes  ont  mis  l’accent  sur l’importance  de  la  participation  active  des  patient·e·s,  tant  au  niveau  individuel  que collectif (Figert, 2010). Il est ainsi légitime d’envisager de quelle manière l’essor actuel des patient·e·s expert·e·s est susceptible de faire évoluer la médicalisation. Notamment, dans  quelle  mesure les  pathographies et  leur  mise  en  récit  (littéraire,  picturale, cinématographique,  etc.) constituent-elles une  forme  de  participation  active  à  la médicalisation (Jutel et Russel, 2021) ?

Dès 1992, Conrad notait que « le genre est un facteur important dans la compréhension de  la  médicalisation » (Conrad,  1992 :  222,  notre  traduction).  C’est  pourquoi  ce  colloque entend explorer ce que la catégorie du « genre » peut apporter aux études sur la médicalisation.

Alors  qu’il  est  commun  en  médecine  de  faire  usage  à  la  fois  des  catégories  du « sexe » (biologique) et du « genre » (social), la seconde étant utilisée de plus en plus fréquemment, il importe de rappeler qu’un point de vue binaire sur le sexe et le genre peut induire en erreur. 

Comme  le  note  Epstein,  bien que  l’on  tende à  traiter  le  sexe  comme  une « variable dichotomique » (Epstein,  2007 :  253,  notre  traduction) en  médecine, nos critères de différenciation restent relativement  ambigus,  et  les frontières  biologiques sont elles-mêmes instables, car découlant de constructions sociales et politiques. Ainsi, ce colloque encourage particulièrement les approches scientifiques du genre et de la médicalisation qui ne se limitent pas à une perspective dichotomique.

 

 
   

Comités

Contact : gender.medicalization@gmail.com

 

Comité d’organisation


• Carla Robison (Initiative Genre), doctorante en littérature comparée, EA 4510 Centre de Recherche en Littérature comparée, ED 19 Littératures françaises et comparées, Sorbonne Université.

• Julia Tinland (Initiative Humanités Biomédicales), post-doctorante au SiRIC CURAMUS, UMR SND, Sorbonne Université / Chaire de Démocratie en santé et engagement des personnes concernées par le cancer, équipe CanBIOS, UMR SESSTIM, Aix-Marseille Université.

• Lucie Vanhoutte (Initiative Humanités Biomédicales), doctorante en démographie-anthropologie, UMR 7206 Eco-anthropologie, ED 227 Écologie et évolution, Sorbonne Université.

• Anne Fenoy (Initiative Humanités Biomédicales), doctorante en philosophie de la médecine et des sciences, UMR 8011 Sciences, normes, démocratie, ED 443, Concepts et langage, Sorbonne Université.

• Marion Bonneau, docteure en études grecques de Paris Sorbonne Université, Équipe Médecine grecque et Littérature technique UMR 8167 Orient et Méditerranée ; membre associée du laboratoire de recherche Fabrique du Littéraire (FabLitt.), Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis.

 

Comité scientifique


• Jean-Christophe Abramovici, Professeur de littérature française, XVIIIe siècle, Centre d’études de la langue et des littératures françaises, Sorbonne Université.

• Solenn Carof, Maîtresse de conférences en sociologie, GEMASS, Sorbonne Université

• Thomas Constantinesco, Professeur de littérature américaine, XIXe siècle, Voix Anglophones Littérature et Esthétique, Sorbonne Université.

• Claire Crignon, Professeure de philosophie de la médecine, Archives Henri-Poincaré - Philosophie et Recherches sur les Sciences et les Technologies, Université de Lorraine.

• Alexandre Escargueil, Professeur de biologie cellulaire et moléculaire, Centre de recherche Saint-Antoine, Sorbonne Université.

• Frédéric Regard, Professeur de littérature anglaise, XIXe-XXIe siècles, Voix Anglophones Littérature et Esthétique, Sorbonne Université.

• David Teira, Professeur de philosophie de la médecine, Sciences, Normes Démocratie, Sorbonne Université.

• Anne Tomiche, Professeure de littérature comparée, XXe-XXe siècles, Centre de Recherche en Littérature comparée, Sorbonne Université.

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